Résumé de l’assise du 19 Février 2016 / Jumu’a 10 Jumâda al-Awwal 1437
Les montagnes qui passent, tels des nuages
Nous revenons à la hadra du lâm al-qabd selon la lecture par le hâ’ al-hawiya, ou dit autrement, par la délimitation (al-taqyîd) déterminée par l’intellect premier (al-‘aql al-awwal), dans l’absolu de la transcendance (itlâq al-tanzîh).
Certes donc, l’essence du Messager d’Allâh ﷺ est, du point de vue de son sens profond, l’océan de l’exclusivité (bahr al-ahadiya), l’océan de la haqîqa prééternelle, et la synthèse de cet océan qui renvoie à l’ensemble des réalités ésotériques divines.
Dans cet océan, où les intellects furent dépassés et submergés, fluent l’ensemble des noms et attributs, des actes et des lois, à l’image de navires voguant sur les flots. Ces navires, si l’on devait les considérer du point de vue de ce qui est apparent, sont les formes du monde créé, dans ses différents degrés, de sorte que celui qui embarque à leur bord, embarque à bord des navires des noms et attributs.
Cela signifie que cet océan… qui est l’océan de la haqîqa al-mustafawiya de sayidina Muhammad ﷺ, est cela même au sein de quoi voguent toutes les formes du monde créé, et chacune d’elles relève des noms et attributs divins.
Celui qui fera couler ces bateaux… celui qui fera couler ces formes du monde créé dans cet océan de l’essence ultime, aura par là-même atteint l’eau de la vie, il aura atteint l’inconnaissable (al-ghayb), il aura atteint la vie éternelle, et sera dès lors dans un état de pureté total, après s’être ainsi ablutionné à cette eau de la vie. Et s’il venait à boire, puisant de cette eau une gorgée du creux de sa main (ightarafa) [1], une gorgée de cette eau fraîche, il parachèverait certes par là-même sa grande ablution (ghusl), de cette eau qui ne saurait évidemment être comparée à nulle autre.
Quant à l’individu que ces navires auraient fini par rejeter… c’est-à-dire celui qui aura arpenté les différents degrés, qui aura expérimenté les différentes théophanies, puis que l’océan aura retourné aux rivages de la terre ferme, c’est à dire vers une délimitation intellectuelle (taqyîd ‘aqliy)… il se tiendra sur cette terre ferme, ou sur ce rocher de tayammum, ce minéral pur et purifiant, et il l’utilisera dès lors comme tel, faute d’avoir su ou pu réaliser ni l’état d’extinction ultime (al-fanâ’ al-akbar), en prenant une gorgée de cette eau de la vie, ni en accomplir le ghusl et le wudû’ qui l’auraient purifié de sa considération des formes apparentes du monde physique.
C’est la raison pour laquelle le lâm al-qabd, dans la lecture du lâm… c’est un lâm par un lâm, soit un fanâ’ total et cernant l’entièreté de ton intellect de toutes les formes que tu auras pris l’habitude de recevoir, sous formes de théophanies (tajalliy). Celui qui sera resté avec ces formes, comme nous venons de le dire, ce sera comme s’il était monté à bord d’un navire… or le but ultime n’est justement pas de voguer sur les flots de cet océan, mais plutôt de s’y laisser submerger, goûter et savourer la fraîcheur de son eau.
De fait, toute personne ayant vu n’a pas forcément atteint la réalisation de la connaissance (de ce qu’il a vu). Certes, nous disons toujours que le connaissant (al-‘ârif), c’est celui qui a vu, tout simplement parce que dès lors qu’il a vu, il a atteint cette connaissance (ma’rifa). Cependant celui qui se sera entièrement immergé, celui qui aura plongé, aura forcément découvert d’autres saveurs… et s’il était parvenu à persister dans cet état-même, alors nous dirions de lui qu’il a pleinement réalisé cette connaissance (al-ma’rifa).
Il ﷺ est la manifestation apparente de la haqîqa absolue et essentielle. (al-haqîqa al-mutlaqa al-dhâtiya), et l’existence de la haqîqa divine relative aux noms et apparente par les êtres et les formes du monde créé. Il ﷺ est la source de toute cette vie, et il ﷺ est la réunion des deux mers. De sorte que celui qui boira de cette source, qui est la source de vie, ne mourra ni ne s’éteindra jamais, car il sera par là-même devenu esprit. Ce sont des paroles très élevées, dans le domaine de l’élévation spirituelle… des paroles qui semblent aisées à prononcer, mais que l’intellect a grand peine à appréhender.
Nous parlons tous avec la plus grande facilité de l’esprit (al-rûh)… seulement toi, où es-tu justement de cet esprit ?
Tu t’es ramifié dans les méandres de la nafs, où tu as demeuré toute ta vie durant, et lorsqu’un jour tu as expérimenté la vision (al-muchâhada), tu t’es imaginé avoir par là-même contemplé l’esprit… seulement l’esprit est une chose, et ce que tu crois avoir atteint en est une autre. Toutes ces visions que tu as, comme nous l’avons dit, ne sont en vérité pour toi que des embarcations… ou comme si tu voguais, dans tes propres veines, traversant successivement les différentes articulations de tes membres… c’est-à-dire que quoi que tu puisses atteindre : tu restes toujours confiné aux limites de ton propre corps.
Comment pourrais-tu donc évoluer par l’esprit absolu, libéré de toute limite ?
Celui qui parvient à un tel degré n’en revient simplement jamais.
Comment peux-tu concevoir que l’individu puisse atteindre cet état de l’esprit, et malgré tout garder un quelconque intérêt pour les formes physiques ?
Non, ceci est strictement impossible.
De même, celui qui a vu la lumière… pourrait-il être sciemment attiré par un retour aux ténèbres après cela ?
Non, plutôt, il fournira un effort et entrera même en guerre contre tout ce qui viendra entraver son établissement dans la lumière prééternelle. Ce retour (aux ténèbres) ne se fera que malgré lui, par le caractère inéluctable de l’insouciance (al-ghafla), sans qu’il ne puisse rien y faire. Ceci est une réalité qui surpasse toutes ses capacités et toute sa volonté, du fait qu’il se sera éloigné de la haqîqa première…
Quant à l’esprit, il est une réalité au-delà même des lumières. Ce n’est donc pas parce que tu as contemplé la lumière que tu as vu l’esprit (al-rûh). Et ce n’est pas non plus parce que tu as vu un ange que tu as vu l’esprit. Toutes ces visions ne sont que des visions d’embarcations (marâkib) propres à un nom (ism) ou à un attribut (sifa). Quant à l’esprit, il est au-delà encore de tout ceci.
Si l’esprit était une eau douce, pure et propre à être bue, fraîche, cristalline… et même au-delà de toute description qui pourrait lui être prêté… il serait tout de même dissimulé par la source de l’eau de vie. Celui qui se sera immergé dans cette source aura certes pu expérimenter la fraîcheur de son eau. Or, après avoir pu goûter de cette eau, l’individu ne pourra évidemment plus revenir à une quelconque considération ni à un quelconque intérêt pour les embarcations voguant sur elle (les différentes visions et considérations des formes apparentes).
Il ﷺ est la source de toutes les réalités (haqâ’iq), lesquelles sont les sens profonds sanctifiés (al-ma’âniy al-quddûsiya). Et la haqîqa de sa lumière existentielle exclusive et absolue est l’illimité de celle qui est confinée (mutlaq al-muqayyada), c’est-à-dire dans la dimension humaine (nâsûtiya) de sa forme perceptible.
Celui qui reste avec la forme apparente (al-sûra), il reste par elle dans le confinement (al-taqyîd). De ce fait, celui qui le voit dans une forme déterminée, ne le voit que par l’un de ses attributs (sifa). Quant à celui qui évoluera au travers d’un nom d’entre ses noms et de ses secrets… il l’aura perçu dans le confinement du secret des lettres du dit nom. Enfin, celui qui accomplira le parfait retour jusqu’à extinction totale en sa lumière, celui-là aura certes goûté à l’ascension (mi’râj) dans cette haqîqa et se sera pleinement immergé dans l’océan du Prophète ﷺ.
Il n’est point caché que la nature confinée (taqyîd) d’une forme apparente (sûra) est propre au statut (hukm) de ce qui est considéré, et non propre à ce qui peut en être perçu. Tu as connu et compris cela par le premier secret. Allâh ﷻ dit en effet : « Tu vois les montagnes, que tu crois figées, alors qu’elles passent, tels les nuages. » [2] De même donc, le gnostique (al-‘ârif billâh) est, en tout ce qui paraît de lui, entièrement emprunt d’obéissance à Allâh. Son apparence n’est en aucun cas contradictoire avec ce qui nous parvint de Allâh et de son Messager ﷺ. Non, le gnostique est rempli d’obéissance à Allâh, fermement attaché à la sunna de son Messager ﷺ, qu’il soit seul comme accompagné. Qu’il soit en compagnie des aimés du Seigneur, ou en compagnie des ennemis du Seigneur… ou qu’il soit seul avec son plus grand ennemi, à savoir sa propre nafs : il est et reste fermement attaché à la sunna du Messager d’Allâh ﷺ, et ses désirs vont exclusivement dans le sens de ce avec quoi il ﷺ nous vint.
Autrement dit : il n’a aucun désir passionnel (chahwa). Ses passions sont mortes. Il ne considère plus aucun de ses désirs charnels, ni même dans le cadre de ce que la loi divine lui a rendu licite. Dès lors, comment pourrait-il s’y aventurer dans ce que la loi divine interdit ?
Il ne fait que ce que son Seigneur a décrété pour lui, et qui devient de fait dans son cas une obligation. C’est en ce sens qu’il agit de la manière qu’agit le Prophète ﷺ.
Allâh ﷻ dit à propos des awliyâ’ : « Certes, les awliyâ’ de Allâh ne sont affligés ni par la crainte, ni par la tristesse. » [3] Ils sont de ceux que Allâh ﷻ prédestina au meilleur [4]. Autrement dit : s’il y a dans ton cœur de la crainte et de l’effroi, alors sache que tu n’es pas un waliy. Les awliya’ de Allâh ne sont affligés ni par la crainte, ni par la tristesse. Par Allâh, le paradis et l’enfer n’ont aucune préférence à leurs yeux, et ce ne sont pas là de simples paroles en l’air. Le paradis et l’enfer sont égaux pour eux, au point que s’il devait leur arriver ce qui arriva à sayidina Ibrâhîm (‘alayhi salâm), et qu’ils devaient se retrouver jetés dans le feu… ils ne feraient qu’y chercher le Miséricordieux, et quand bien même leurs corps brûleraient et s’y consumeraient, ils n’y prêteraient aucune attention, et ce serait d’ailleurs là-même leur désir et leur aspiration la plus intime, puisque cela scellerait enfin pour eux le retour à la haqîqa.
Cet état n’est évidemment pas comparable à celui de l’individu qui est sujet à la peur… celui qui a peur ne serait-ce que de dormir tout seul dans une pièce obscure ! Celui-là, d’où lui viendrait donc la connaissance (al-ma’rifa) ?
Si tu lui dis de s’asseoir ici et de ne pas bouger…
Regardez… il y a quelques jours, la terre a tremblé de manière significative dans la région. Regarde donc ton cœur, comment s’est-il comporté… prends conscience, à quel point tu as été effrayé, et comme ta réalité te fut dévoilée, cette nuit-là [5] !
Admettons qu’untel serait mort, devant tes yeux… l’esprit aurait quitté sont corps… mais toi, qu’en est-il donc de ton état, vis à vis de la mort ?
« les awliyâ’ de Allâh ne sont affligés ni par la crainte, ni par la tristesse. » Ils ne connaissent pas la peur, et ils ne s’attristent de rien. Ils sont au contraire toujours dans un état de joie intérieure. S’ils s’attristent, c’est pour toi… jamais pour eux-mêmes. Ceci, parce que ce qu’il y a de meilleur (al-husna) leur fut prédestiné. Et al-husnâ, c’est la beauté du Prophète ﷺ, ou dit autrement, ce sont les noms divins (asmâ’ Allâh al-husnâ).
Toujours, tu dois appliquer ces points sur ton cœur : lorsque tu constates que tu es sujet à la peur, à la crainte et à l’effroi… alors, cache-toi, disparais, car c’est la preuve formelle que tu n’en es qu’aux débuts du cheminement spirituel! Ne viens pas prétendre à l’esprit, absolu et éternel…
Si tu es de ceux qui aiment s’oublier dans ce genre de paroles… fais l’expérience sur toi-même : réunis les conditions de ce test dans le monde physique… et vois si tu es effectivement à ce niveau. Car évidemment, les belles paroles et les grands récits sont à la portée de n’importe qui.
« La grande terreur ne les affligera point. » [6] ils n’ont aucune crainte relative à la mort. Même au contraire : ils aiment la mort, en ce qu’elle leur permet de rejoindre le Seigneur de la mort. Tels sont les véritables gens d’Allâh. « et ils perdureront dans ce que désirent leurs nafs éternellement. » [7] évidemment, il leur parviendra une multitude d’états (ahwâl) et de flux spirituels (wâridât) différents… mais eux, ils ne désirent jamais autre que le Seigneur de ces états et de ces flux spirituels. Ils regardèrent, ils contemplèrent… mais jamais ne sombrèrent dans l’insouciance (ghafla). Revenant à l’eau de la vie, ils embrassèrent la haqîqa, et dès lors perdirent toute considération de ce que voient les yeux et les cœurs, et de ce qu’entendent les oreilles.
Puisse donc Allâh nous compter parmi ses privilégiés.
Leurs cœurs, comme nous le disions, sont fermement ancrés dans la science. Par Allâh, ne peut influer sur eux aucun état (hâl) d’entre les états quels qu’ils soient, ni aucun flux d’entre les flux divins. Ils ressentent effectivement leur effet, en eux-mêmes, tel un courant électrique, cependant que tout ce qui paraît d’eux-mêmes est et reste absolument imperturbable. Ils restent totalement impassibles. Tu les trouveras toujours dans le même état, peu importe que leur situation soit confortable ou purement insoutenable… à l’instar des montagnes.
Il fut dit à al-imâm al-Junayd (radiAllâhu ‘anhu) : « Nous constatons que tu te balançais jadis durant le samâ’ [8], or aujourd’hui tu restes parfaitement immobile. » Il répondit en récitant le verset : « Tu vois les montagnes, que tu crois figées, alors qu’elles passent tels les nuages. » [9]
En cette époque qui est la nôtre… le disciple connaît les sagesses soufies, et les versets aussi, il les a appris par cœur. Seulement il n’en a pas vu les théophanies, il n’est pas monté à bord de ces embarcations (marâkib) et ne s’est pas immergé avec elles dans l’océan de la haqîqa… et lorsque tu lui demandes pourquoi il ne se balance pas à l’écoute du samâ’, il te donne la réponse que fit al-Junayd… mais est-ce al-Junayd qui est alors avec nous, à cet instant ?
Non. Cependant, il est un fait que al-Junayd se soit balancé. Et lorsqu’il est question de danse (raqs) soufie… il ne s’agira pas pour toi que tu restes debout, planté… nous n’avons pas besoin que tu te tiennes droit, ni assis. Al-raqs, c’est un mouvement… y a-t-il donc en toi une vibration intérieure, une vibration qui actionne tes articulations ?
Questionne-toi, considère ton corps, pendant la hadra, lorsque tu entres dans le cercle… quels sont les flux qui te parviennent, quelles sont les théophanies qui se présentent à toi, quelles sont tes lumières, quelles sont tes pensées ?
Je vais répondre à ta place, très simplement : tes lumières et tes pensées, ce sont tes enfants, et les gens de ta maison. C’est ton travail, ton commerce et tes affaires pécuniaires. Tes problèmes avec tes voisins. Voilà la réalité des « flux divins » qui te parviennent pendant la hadra !
Al-Junayd, il s’est balancé, épris d’un ardent désir… Par Allâh, celui à qui ne parvient pas cette vibration intérieure, pendant la hadra, celui qui ne ressent pas cet amour, cette passion parvenue à maturité, cette pure intention… par Allâh, son cœur est mort !
Le cœur vivant est un cœur qui bat. Et lorsque le cœur bat, le corps le suit. Quant à celui dont le corps reste figé, tout comme son cœur d’ailleurs… et qui se justifie en te rapportant la parole de al-Junayd… Non : passe par ce par quoi al-Junayd est passé, expérimente ce qu’il a expérimenté, et lorsque tu y seras effectivement parvenu, alors oui, exprime ce que bon te semblera. Si cependant tu n’as rien réalisé de tout cela, si tu n’as fait que mettre la charrue avant les bœufs… de toute évidence, tu n’es pas à la hauteur de tes déclarations.
Auparavant, tu goûtais, et tu te balançais… mais aujourd’hui, plus rien. Quelle est donc la cause de ton immobilisation dans la hadra ?
En vérité, celui qui ne tire pas de flux spirituel de la hadra… il ne pourra en tirer de rien d’autre. Celui en qui l’état (al-hâl) et l’ivresse spirituelle n’est pas stimulé pendant la hadra, par Allâh, jamais il ne sera stimulé dans le dernier tiers de la nuit !
Celui dont les yeux ne se remplissent pas de larmes pendant la hadra, vous pouvez être certains que lorsqu’il se trouve seul, pas une seule goutte ne tombe d’aucun de ses yeux ! Son cœur est une pierre, dur, sec ! Il voit les défauts bien plus que les choses positives. S’il avait été une entité spirituelle légère et alerte… il aurait bénéficié de cette aptitude, de cette lucidité, de cette capacité à goûter.
Si tu lui ramenais une flûte et que tu te mettais à jouer devant lui… le serpent [10]… dès que tu te serais mis à jouer, il aurait commencé à se mouvoir, sans même s’en rendre compte. Le serpent a beau ne pas voir celui qui le fait danser, il lui suffit de percevoir les ondes que transmet l’instrument.
Toi, rien en toi ne s’est activé… et tu prétends aux plus grands dévoilements spirituels !?
L’effacement (al-mahuw) et l’établissement (al-ithbât)
Allâh ﷻ dit : « Allâh efface (yamhu) ou établit (yuthabbit) ce qu’Il veut. » [11] … c’est ici que nous touchons au but de ce cours.
Ces flux spirituels (al-wâridât) qui parviennent au cœur… ils sont effacés, ou confirmés. Allâh peut ainsi confirmer dans ton cœur une théophanie déterminée… puis, s’Il te fait parvenir une nouvelle théophanie, elle effacera la précédente pour être elle-même confirmée. Parce que dans la mesure où ce cœur serait purifié de toute souillure et de toute considération illusoire, alors tout ce qui pourrait s’y manifester des mondes inconnaissables (ghayb) ne serait que la pure vérité… seulement, ces différentes manifestations s’abrogent les unes les autres. Il se peut de ce fait que le waliy informe d’une chose qui peut être, comme ne pas être… et ceci est général et commun à tous, ce n’est pas une réalité spécifique à la tariqa Karkariya.
De ce maqâm, jusqu’à al-Mustafa ﷺ… lorsque le waliy t’informe et te dit qu’il a eu une vision (tajalliy), relative au monde physique et matériel, que par exemple dans tel endroit, il a vu telle et telle chose, et que le Seigneur a dévoilé cela à l’œil de son cœur… Cependant, lorsque nous nous sommes rendus dans le dit endroit, nous n’y avons pas trouvé ce que le waliy nous avait assuré que nous y trouverions. Évidemment, dans un tel cas, le waliy sera remis en question et considéré comme un menteur affabulateur… parce qu’il aura dit que dans tel endroit, il y aurait telle chose, or ce ne fut pas le cas.
Cependant, s’il a vu ce qu’il a vu par son cœur, d’une perception lumineuse, dans sa khalwa… que ce qu’il a vu se confirme ou non dans le monde physique, sa vision est une vision véridique et confirmée. Seulement, c’est qu’une chose est venue en abroger une autre. Toutefois, ceci relève de ce qui est enseigné dans les lectures châdhdhah, qui correspondent au point (al-nuqta), qui lui-même est au-dessus du alif. Il s’agira alors de saisir comment la chose se produit, et comment elle disparaît pour être remplacée par une autre.
Allâh peut ainsi manifester une chose dans son cœur, puis l’effacer, puis y confirmer une chose qui serait contraire à la première, ou faire apparaître dans le monde physique une chose différente de ce dont Il l’avait informé. Ceci n’est pas un mensonge, qui pourrait lui être imputé. Plutôt, le Vrai ﷻ dévoile à ses créatures des choses relevant de différentes formes de ce qu’il a prédestiné (maqdurâtihi), et donc l’existence de chacune d’entre elles dépendra de causes et de conditions spécifiques. Il garde cachées ces différentes possibilités, afin de mettre à l’épreuve le disciple… c’est de cette manière que le disciple pourra savoir que, effectivement, Allâh est tel qu’aucune chose ne saurait lui être comparée, et que peu importe où tu es parvenu, peu importe ce que tu as atteint : il y a toujours au-delà une science cachée. Ne va donc jamais t’imaginer que tu aies pu saisir la globalité de la chose…
C’est la raison pour laquelle le lâm al-qabd est la markaziya de ce que tu as pu délimiter, par le premier secret, au travers du pliement des sept cieux et des sept terres. C’est dans la markaziya du lâm que tu retrouves l’extinction par la lumière véritable, par l’eau de Vie, grâce à laquelle tu oublies ce qui a été délimité (al-taqyîd) et tout ce qu’il comporte. Tu ne saurais alors revenir aux formes apparentes des embarcations (al-marâkib).
Disions-nous, le Vrai ﷻ dévoile à ses créatures des choses relevant de différentes formes de ce qu’il a prédestiné (maqdurâtihi), et l’existence de chacune dépendra de causes et de conditions spécifiques… ces causes et ces conditions, c’est ce que nous appelons les fils de la capacité divine (khuyût al-qudra), qui eux-mêmes sont les colonnes du ciel, que Allâh ﷻ cache à ses créatures afin de révéler leur incapacité à saisir l’étendue de sa science.
Ceci apparaît au travers de ses actes (af’âl), mais jamais cela ne pourrait concerner ses secrets ni l’origine fondamentale de sa science. C’est pour cette raison que les fondements (al-‘usûl) de la tariqa sont purs, purifiés et immaculés. Dénigre-les et critique-les à ta guise… Accepte-les, ou ne les accepte pas… quoi qu’il en soit, si tu ne les acceptes pas, sache que ce n’est pas un choix de ta part, mais plutôt ce sont les fondements eux-mêmes qui n’ont pas voulu que tu les acceptes.
Si tu n’acceptes pas le secret… si tu ne parviens pas à l’admettre… ne va pas t’imaginer que c’est de ton propre fait. Plutôt, c’est le secret qui ne veut pas de toi. Toi, qui es-tu pour avoir la liberté de choisir ?
Tu as contemplé les lumières, et puis elles sont parties, et désormais tu ne les vois plus ?
Ce n’est pas toi qui n’as pas l’envie de les voir, mais plutôt elles qui ne veulent pas que tu les voies.
Tu avais un secret, et il t’a été retiré ?
C’est le secret qui n’a pas voulu de toi… pas l’inverse. Parce que toi, par rapport au secret d’Allâh… tu n’es qu’un mouvement physique (haraka fi’liya), tu peux être un temps puis ne plus être… tu n’es donc rien, objectivement.
En revanche, ce que Allâh t’a fait parvenir a bien plus de valeur que tu ne sauras jamais en avoir. Si tu en avais été digne, tu serais resté fermement ancré et dans la parfaite conformité à ton devoir.
Si donc la chose ne s’est pas établie durablement pour toi… sache que cela ne relève pas de ton propre fait, mais plutôt c’est Allâh qui t’a destitué de ta station spirituelle, et qui t’a voilé de la réalité de ta nafs.
Si tu considères les choses sous cet angle… au moins, tu mésestimeras ta propre nafs et tu accorderas plus d’importance à la capacité (qudra) d’Allâh. Seulement évidemment, la nafs ne consent pas à cela. La nafs veut toujours avoir raison, ce qui ne sera évidemment jamais le cas.
Al-Quchayriy -qu’Allâh l’agrée et le comble de miséricorde- dit : « L’accomplissement des choses (al-machi’a) ne dépend que des événements factuels (al-hudûth). L’effacement (al-mahwu) et l’établissement (al-ithbât) ne concernent que Celui qui aura permis l’accomplissement de ces événements factuels. Les attributs de l’essence du Vrai ﷻ, qu’il s’agisse de sa parole ou de sa science, ne sont en aucun cas sujets à l’effacement (al-mahwu) ni à l’établissement (al-ithbât). Plutôt, ces deux principes ne concernent que les attributs de ses actes. »
Les actes changent, les mouvements changent, raison pour laquelle tu constates que la forme des adorations de Mûsâ (‘alayhi salâm) diffère de celle de al-Mustafa ﷺ. Cependant, peu importe le temps ou l’espace considéré, jamais les attributs divins (al-sifât) n’ont changé. Ils sont établis tels quels, pour l’éternité.
Sahl -qu’Allâh l’agrée- dit :« Allâh efface (yamhu) ou établit (yuthabbit) ce qu’Il veut. » [12] l’effacement (al-mahwu) dont il est ici question est l’effacement des causes (al-asbâb). « … et Il détient Umm al-kitâb » c’est-à-dire la haqîqa originelle, qui n’est pas sujette au changement et qui n’évolue jamais, du point de vue du lâm al-qabd. Ceci parce que al-fâtiha [13], le Seigneur l’a divisée entre lui et son serviteur, de sorte que, conformément au hadîth, lorsque le serviteur dit « al-hamdu lillâhi rabbi l-âlamîn », le Seigneur répond « Mon serviteur m’a loué. »
C’est ici-même que débute la réalité de ‘Ali (karramAllâhu wajhah). C’est ici que débute la science de ‘Ali… pour les adeptes de cette philosophie et les prétendants à la compréhension de ces paroles… en vérité, quel que soit ton but et ton aspiration, tout commence par ‘Ali. Pour la simple raison qu’il dit, dans sa célèbre parole : « Tout ce qui se trouve dans le Coran se trouve dans al-fâtiha : umm al-kitâb ». Or, umm al-kitâb n’est absolument pas et en aucun cas sujet au changement : il s’agit de l’origine fondamentale.
Cela dit, il ne s’en tient pas à cela et ajoute que « Tout ce qui se trouve dans al-fâtiha se trouve dans al-basmala » ou comme s’il te disait : Je te mets en échec, face à ta propre incapacité à saisir cette réalité. Si tu réalises effectivement que le Coran et tout ce qu’il comprend se trouve réuni dans al-fâtiha… je rajoute à ta connaissance le fait que tout ceci se trouve réuni dans al-basmala. De ce fait, si tu parviens à revenir à l’ouverture de la basmala, par le nombre 19, en opérant le retour aux 7 mathâniy [14], dans sa forme absolue immaculée et originelle, alors effectivement tu auras saisi une part de la science de ‘Ali (karramAllâhu wajhah).
La science de sayidina ‘Ali ne se limite pas au fait que tu répètes les paroles qu’il a prononcées. « Tout ce qui se trouve dans le Coran se trouve dans al-fâtiha »… ça, n’importe quel passant dans la rue peut te le dire ! N’importe quelle personne qui a un lien ou un penchant pour le soufisme, si tu le croises dans la rue, il te dira que oui, évidemment : « Tout ce qui se trouve dans le Coran se trouve dans al-fâtiha, et tout ce qui se trouve dans al-fâtiha se trouve dans al-basmala, et que tout ce qui se trouve dans al-basmala… »
Nous entendons tous cette parole, et nous savons tous que c’est une parole de sayidina ‘Ali, seulement lorsqu’il l’a prononcée, il le fit en état de parfaite maîtrise et totale réalisation de ses mots. Par l’abrogeant (al-nâsikh) et par l’abrogé (al-mansûkh), il retourna chaque verset à umm al-kitâb, dans sa réalité originelle. Puis, de umm al-kitâb, il le retourna au nombre 19. De ce fait, il te donne le verset dans sa nature abrogée finale, ainsi que sa réalité retournée à son origine première.
Toi en revanche… tu n’as jamais fait que répéter sa parole, sans jamais en avoir rien compris. Voilà… voilà le problème de la science du soufisme (‘ilm al-tasawwuf). Quelle honte et quelle humiliation pour le monde soufi… Comme le disait al-Ghazâliy -qu’Allâh le comble de sa miséricorde- : « Leurs paroles sont les nôtres… ils parlent et s’expriment avec nos propres langues… cependant que leurs cœurs sont les cœurs de nos ennemis. » c’est-à-dire que ce qui s’est établi en nous ne s’est pas établi en eux. Ce qui fait qu’au final, lorsqu’on parle… en vérité, on ne peut plus rien dire. Parce que tout ce que nous pourrons dire sont des paroles qui furent dites avant nous, qui sont dites aujourd’hui et qui seront toujours dites après nous, de belles paroles pleines de charisme et d’éloquence évidemment… seulement, ô parleur, ô toi dont la langue s’agite entre tes dents : est-ce que ton cœur s’est agité de la même manière et conformément à ce qu’en extériorise ta langue !? Ou bien, cela reste et on s’en tient à « ‘Ali a dit… karramAllâhu wajhah… » La parole en elle-même, nous la connaissons… qu’en est-il de sa haqîqa !?
Toute chose a une concrétisation… c’est-à-dire que toi qui affirmes que tout ce qui se trouve dans le Coran se trouve dans al-fâtiha : prends « Alif lâm-mîm », renvoie-le à al-fâtiha, et explique-nous quelle est sa place, dans al-fâtiha. Et là… apparaîtra évidemment ton incompétence. Car même si tu allais chercher dans les livres des maîtres soufis, depuis les plus anciens, jusqu’à aujourd’hui… les gens d’Allâh ont de la pudeur et ne sauraient limiter par la plume une réalité relative au cœur.
Plutôt, ils s’élevèrent au-delà de cette idée, et désignèrent cette réalité comme relevant purement du secret (al-sirr). C’est-à-dire que c’est une réalité qui ne concerne même pas le cœur… mais plutôt, une dimension spirituelle cachée, que l’on nomme hadrat al-sirr. Et dès lors qu’on parle de hadrat al-sirr, c’est que cette réalité s’élève dans des embarcations (marâkib) théophaniques, jusqu’à sidrat al-muntahâ. Après quoi, l’embarcation se referme, puis plonge et s’immerge dans la haqîqa personnelle de al-Mustafa ﷺ., par son « lui – huwa » et non plus par mon « moi – ana« .
Alors effectivement, tu saisis ces sens profonds, mais tu te retrouves entièrement incapable de les exprimer par la langue, car la langue est tout bonnement incapable de décrire convenablement ces réalités… or, si la langue est incapable de décrire convenablement ces réalités, comment pourraient-elles être comprises par les intellects limités de ceux qui les écoutent ?
Voilà la difficulté de la chose… c’est la raison pour laquelle nul ne peut s’en prendre aux sept degrés [15] (al-marâtib al-sab’). Celui qui le fait, s’en sera pris par là-même à umm al-kitâb, comme si elle avait été séparée du Coran, des invocations, et ne figurait plus comme parole d’Allâh prééternelle.
Le Shaykh de nos Shuyûkh, sidi ‘Abdalrahmân al-Fâsiy, qui figure donc dans le sanad de notre arbre de transmission… il dit : « et Il détient umm al-kitâb » [16] c’est-à-dire la science première, originelle et établie (al-thâbit), qui n’est en aucun cas sujet au changement, à la modification, ni à l’évolution. »
Cela signifie qu’il s’agira ici pour toi de réaliser et de connaître ce qui est dupliqué (al-naskh) et ce qui est abrogé (al-mansûkh), de connaître le sens de l’effacement (al-mahwu) et de l’établissement (al-ithbât)… mais pas par un bouquin que tu trimbaleras sous ton bras, non ! Plutôt, tu devras connaître cela par les réalités ésotériques (al-haqâ’iq) de umm al-kitâb. Car si tu saisis ce qu’est umm al-kitâb, alors tu as la pleine connaissance de comment umm al-kitâb s’est dupliqué (nusikhat [17]), jusqu’à nous donner le Coran tout entier. Et tu as de même la connaissance de comment les attributs (al-sifât) de umm al-kitâb révélèrent, sur base de ce divin décret premier et originel, l’ensemble de toute cette ramification factuelle (al-far’ al-fi’liy).
La station de l’intimité (maqâm al-khulla)
Et l’on retrouve dans le livre al-Qût [18] : « L’amour (al-mahabba) est la plus éminente des stations spirituelles (maqâmât), et il n’est de station qui lui soit supérieure en matière de rang et de saveur spirituelle (dhawq), si ce n’est la station de l’intimité (al-khulla), qui est une station dans la connaissance ésotérique spécifique (al-ma’rifatu l-khâssa) »
Or, pour ce qui est de cette station de l’intimité (al–khulla), si tu veux y prétendre, ou du moins savoir de quoi il en retourne… désigne-la comme étant le compagnonnage (al-suhba). Dans notre tarîqa, nous l’avons nommée lâm al-qabd, ou plutôt nous la renvoyons à la fissure (inchiqâq) du lâm al-qabd, et c’est par ce maqâm de al-khulla que débute la lecture du lâm par le lâm. C’est-à-dire que tu te seras alors affranchi du confinement (al-taqyîd) du hâ’, et tu auras débuté la lecture du lâm par le lâm.
Al-khulla, de ton point de vue lointain, est associée à l’unité… et de ton point de vue rapproché, à la dualité. En vérité, elle n’est ni unité, ni dualité. Plutôt, c’est un lâm, ou autrement dit un alif qui aura tendu et se sera courbé par amour du saisissement (qabd) inhérent au lâm.
Al-khulla renvoie à l’entrée en intimité par les secrets de l’insondable, et par là-même à un accès aux contemplations de l’aimé, qui donne une délimitation à toute chose qu’il embrasse de sa science, selon la nature des choses qu’il voulut sans changement, et en conformité à sa science prééternelle qui n’est sujette à aucune modification.
Lorsque l’on dit que tu peux la considérer d’un point de vue lointain (bu’d), cela signifie que tu la vois alors par l’unicité (al-wahdâniya). Parce que le lâm, lorsque tu atteins sa lecture par le lâm… tu constates qu’il n’est qu’une courbure du alif. Or le alif a pour particularité de ne pouvoir comprendre autre que lui-même. Plutôt, tout ceci ne put être que par et uniquement par son amour, conformément au hadîth établissant qu’il était un trésor caché, et qu’il aima à se faire connaître.
C’est ainsi donc qu’il pencha et se courba par amour pour sa création. Il créa alors toutes ces théophanies (tajalliyât), qu’il aima, et à qui il se fit connaître lui-même. « J’étais un trésor caché, et J’ai aimé à Me faire connaître. J’ai alors créé la création, et c’est par Moi qu’ils Me connurent (fabiy’arafûniy). » ce « fabiy ‘arafûniy« , c’est précisément cela : maqâm al-khulla.
L’individu n’atteint ce maqâm que par la lecture du lâm par le lâm. C’est la lecture du lâm par lui-même. En d’autres termes, il va au-delà de la lecture du lâm qui nous concerne encore aujourd’hui, à savoir une lecture soumise aux délimitations du hâ’ al-hawiya.
A ce sujet, nous avions dit que le hâ’ al-hawiya est l’ensemble de ce qui fut délimité (quyida) dans la réunion première que tu as pu réaliser, dans ses différentes lectures… pour finalement établir un markaz à ce hâ’ al-hawiya, qui n’est autre que le lâm al-qabd. Après quoi, tu as éteint ta nafs dans la sienne, à travers le lâm al-ma’rifa. Tu as alors connu, par différentes théophanies, la scission (al-fasl) et la jonction (al-wasl). Puis, tu as réalisé un repliement (al-tayy) entre toi, la nubuwa et la risâla, établissant la fissure (inchiqâq) du alif al-muqaddar… C’est ainsi que nous avons pu atteindre le lâm al-qabd, que tu avais donc déjà commencé à entrevoir au travers du deuxième secret de la première lecture… Mais tu dois comprendre que toute cette première lecture, ces sept secrets que tu as lus, depuis l’apparition de la tariqa jusqu’à aujourd’hui, n’était que l’établissement de cette délimitation ou de ce confinement du hâ’ (al-taqyîd al-hâ’iy).
Quant à cette markaziya, ce point central, ce point originel dont nous disons qu’il est al-Mustafa ﷺ, comment pourrait-on un instant penser que celui qui accéderait à ce markaz puisse après cela avoir encore le loisir de regarder vers ce qui se trouve autour, à savoir cette délimitation (al-ihâta) ?
Non, au contraire : il s’est éteint et a disparu, son intellect, sa pensée et son corps ont été entièrement effacés. C’est en ce sens que nous disons de lui qu’il a perdu les embarcations (al-marâkib) que sont les noms (al-asmâ’) et les attributs (al-sifât), de sorte qu’il ne lui reste absolument rien. Demeure cet océan de la haqîqa, l’océan prééternel, qui est tel qu’il est : sans forme (sûra). Quant à toi, si tu en es toujours à l’état de considération des formes, si tu restes avec les attributs (al-sifât)… alors c’est le signe que tu es toujours dans le hâ’ al-hawiya. Tu n’es pas encore parvenu au lâm al-qabd.
Ce lâm al-qabd, ou ce compagnonnage ultime, n’est autre que ce à quoi renvoient les hadîths stipulant que la foi soit conditionnée par le fait d’aimer al-Mustafa ﷺ plus que tout, y compris sa propre personne [19]. Tels sont les hadîths authentiques en ce qui concerne al-khulla… fais-en ce que bon te semble. Évidemment, ces hadîths tu les connais, tu saurais même les réciter par cœur, peut-être même avec leur chaîne de transmission… mais, en portes-tu la haqîqa, en toi-même ?
Celui qui en porte la haqîqa, c’est sayiduna ‘Omar -qu’Allâh l’agrée- qui, lorsqu’il retourna dans un second temps auprès de al-Mustafa ﷺ, lui dit : « A présent, par Allâh, oui tu m’es plus cher que ma propre nafs ! » Le Prophète ﷺ répondit : « Maintenant oui, ô ‘Omar. » » C’est-à-dire que à cet instant, ô ‘Omar, tu es devenu du nombre des gens de ce maqâm, par exemple.
Voilà donc la preuve claire tirée de la chari’a qui justifier cette réalité que nous évoquons ici.
Dans cette station spirituelle, se révèlent les réalités cachées, passées et à venir, de ce qui relevait des mondes insondables (al-ghuyûb), y compris la destination finale des créatures ! Cela comprend donc le dévoilement de la station spirituelle des différents hommes telle qu’établie dans l’éternité. Ceci est rendu possible du fait que l’individu se sera pleinement établi dans la markaziya, et que de là, il se sera mis à voir et à considérer chacun conformément à la haqîqa du dévoilement (kachf) qu’il avait de lui.
Attention, ici il ne s’agit pas d’un dévoilement (kachf) par l’intermédiaire de flux spirituels (al-wâridât) [20] : à savoir que tantôt tu tombes juste, et tantôt tu as faux…
Et lorsqu’on parle d’un dévoilement (kachf) du disciple… il ne s’agit pas du dévoilement qui consisterait en le fait de savoir ce qu’il a bu et mangé chez lui la veille… mais plutôt, c’est un dévoilement à l’image du dévoilement de Hâritha -qu’Allâh l’agrée- : « Je vois les gens du feu y pousser des gémissements » Cela signifie que, lorsque le disciple entrera dans cet état de présence (hadra)… s’il croise quelqu’un de ce maqâm (l’enfer), il lui suffira de le regarder pour constater qu’il est effectivement dans le feu, gémissant de douleur. Et inversement, celui qui a atteint cette station de al-khulla, lorsqu’il viendra à croiser le chemin de gens du paradis, dès qu’il les regardera, il constatera qu’ils sont effectivement au paradis, visitant les gens de bien. Ceci est exactement ce que dit Hâritha -qu’Allâh l’agrée-, dans le hadîth connu. Et le Messager d’Allâh ﷺ lui répondit : « Tu as atteint la connaissance, tiens-t’en donc à cela (‘arafta falzam). » Car ce maqâm a une spécificité et une limite… c’est-à-dire qu’il n’est pas comparable à ce qui le précède, à savoir que chaque réalité évoquée ou considérée peut être sujette à un effacement (mahuw) ou à une confirmation concrète (ithbât)... auquel cas tu pourrais tout à fait en parler et le révéler aux gens à ta guise, sans problème.
En ce sens, le Shaykh de nos Shuyûkh, sayiduna ‘Ali Jamal al-Jammâl, qui est le Shaykh de moulay al-‘Arbiy al-Darqawiy… Il a dit : « Lorsque quelque chose s’installe dans notre cœur, et qu’on constate qu’elle se réalise concrètement précisément comme elle nous est venue, nous nous réjouissons une fois. Et lorsque la chose se réalise d’une manière différente de ce à quoi nous nous attendions, nous nous réjouissons dix fois. »
Quelle est la signification de cette parole ?
C’est tout simplement le sens du verset : « Allâh efface (yamhu) ou établit (yuthabbit) ce qu’Il veut. » [21] c’est par cela que l’individu saisit comment s’opère l’effacement ou l’établissement. S’il se réjouit dix fois, ce n’est pas parce que la finalité de la chose ne lui a pas été révélée, mais plutôt il se réjouit du fait que ce non-accomplissement de ce qui lui était parvenu le renforce d’autant plus dans l’état de présence divine, car définitivement « Il est tel qu’aucune chose ne Lui est comparable » [22], et qu’il est impossible de réunir et de cerner toute la connaissance divine.
En revanche donc… pour ce qui est de la hadra de al-khulla… l’individu ne peut pas parler ni donner aucune indication sur le fait que untel serait comme ceci, et untel comme cela… car ceci n’est et ne revient qu’au détenteur de la markaziya première, le maître de la création, al-Mustafa ﷺ, qui dit effectivement : « Celui-là fait partie des gens du feu. » [23], et il dit également : « Maintenant, va venir parmi vous un homme d’entre les gens du paradis. » [24]
La vision du Prophète ﷺ, ici, n’est pas une vision depuis le maqâm de la risâla. Non, c’est plutôt une vision depuis le maqâm de la wilâya, et plus particulièrement depuis le maqâm de al-khulla.
Ce dévoilement est le dévoilement d’une réalité générale (ijmâliy) et non pas de ce qui relève de précisions détaillées (tafsîliy)… et il se peut qu’il soit tout de même sujet à l’effacement (al-mahuw) et à l’établissement (al-ithbât), dans la mesure où ce sont des données qui sont sujettes à entrer dans le domaine du monde créé, dans lequel surviennent changements et évolutions. Allâh ﷻ dit : « et ils n’embrassent de Sa science que ce qu’Il permet. » [25] Si l’on considère al-khulla à la lumière de ce verset, alors elle est et demeure limitée par la volonté divine de « que ce qu’Il permet. »
Cette limitation par « que ce qu’Il permet » est à appliquer au pourtour (al-ihâta), et l’accès au dévoilement (de ce pourtour) est alors accessible, par la volonté divine, par l’intermédiaire d’une étoile perçante, et par un rayon lumineux émanent de sa transcendance… Mais ceci n’est évidemment réalisable que dans la mesure où la nafs serait sortie de l’esprit.
Mais, quand est-ce que la nafs va sortir ? Ou comment l’esprit va sortir ?
Ou dit autrement, quand est-ce que la nafs et l’esprit seront séparés et distincts l’un de l’autre ?
La nafs reste et demeure, pour toujours, dans le pourtour de la délimitation (ihâtat al-taqyîd) [26]. Quant à l’esprit (al-rûh)… il ne se distinguera de la nafs que et uniquement par le lâm al-qabd. C’est bien là la raison pour laquelle il est nommé lâm al-qabd : c’est parce que la nafs est saisie (tuqbad). Lorsque tu vois la haqîqa du markaz, lorsque tu constates que ses rayons contiennent en vérité tout de tout… l’esprit n’aspire plus à rien d’autre que retourner à lui. Et c’est précisément dans cet état vacillant que le Seigneur ﷻ dit : « ô toi, nafs apaisée, reviens… » non pas à Allâh, mais plutôt « reviens à ton Seigneur, satisfaite et agréée. » Or, le nom al-Rabb (le Seigneur) descend, conformément au hadîth [27], dans le dernier tiers de la nuit… Par conséquent, celui qui veut accomplir ce retour devra s’y employer dans le dernier tiers de la nuit, en se rabaissant et en se confondant d’humilité par la mention de « astaghfirullâh« , du fait que le Seigneur dit : « Qui implore mon pardon, afin que Je lui pardonne ? »
Si quant à toi tu n’as pas l’habitude de cette pratique… ne prétends pas au soufisme. Reste là où tu es… tiens-t’en aux invocations et à la recherche de baraka.
Le lâm al-qabd, ce n’est pas du tabarruk [28]. Le lâm al-qabd, ce n’est pas comme la subha (le wird) de tabarruk, avec une étoile perçante, que tu vas te complaire à voir en toute chose, au quotidien… non. Ce n’est pas là le niveau du lâm al-qabd. Le lâm al-qabd est bien plus exigeant que cela.
« Par l’étoile lorsqu’elle descend : votre compagnon ne s’est pas perdu, ni ne s’est égaré. » [29] Le lâm al-qabd, c’est précisément « votre compagnon – sâhibukum« , ce n’est pas l’étoile…
L’étoile, c’est la première étape de sa descente dans ton cœur. Il est effectivement descendu… et puis il s’est produit ce qu’il s’est produit : tu l’as alors vu en toute chose… Mais dès lors, la vision de cette étoile cesse d’être ton but ultime, sa vision n’est plus pour toi synonyme d’accomplissement spirituel et de connaissance ésotérique. L’étoile est plutôt la première étape de cette descente de la transcendance dans le domaine perceptible et concret de ce monde créé. Par elle, tu constates que les choses prennent forme. Elle conçoit pour toi des univers. Elle est ce par quoi fut ce qui a été, et elle est ce par quoi sera ce qui est à venir.
Tu accèdes en ce sens à un dévoilement (kachf) relatif à ce que nous évoquions, c’est-à-dire que c’est un dévoilement dont l’information est comprise dans la possibilité de l’effacement (al-mahuw) et de l’établissement (al-ithbât). Du point de vue de la haqîqa en revanche… le lâm al-qabd est bien au-delà de tout ceci.
Que signifie au juste « bien au-delà » ?
Cela renvoie à ce compagnonnage (al-suhba)… et en ce qui concerne la suhba du Prophète ﷺ, nous vous renvoyons à la considération du hadîth précité… à savoir que nul ne sera véritablement croyant tant que le Prophète ﷺ ne lui sera pas plus cher que tout, y compris sa propre personne.
Si la nafs sort finalement de l’esprit, alors l’individu devient effectivement un spirituel (rûhâniy), et c’est la nuit qui sort du jour. Le savant est et demeure éternellement effacé (mahuw) et établi (thâbit), il ne déroge jamais à cette réalité d’interface (barzakhiya). Du point de vue donc de l’exclusivité absolue de l’existence de ce qui relève du domaine du divin (al-lâhût) : il est effacement (mahuw). Et du point de vue de la diffraction des différents statuts des noms divins, apparents par des formes aux limites établies par les lois du monde humain (al-nâsût) : il est établi (thâbit).
Si, ce faisant, tu comprends et réalise cela… au sein de ce disque Muhammadien, qui est donc rempli[30] par ces informations (akhbâr), ou par ces piliers, ou par ces fils de qudra divine… alors tu demeures par les noms (al-asmâ’), ces noms étant tels que certains aient la prévalence sur certains autres.
Il ﷺ est « huwa huw« , il est Coran, et il est la matière, la substance de toutes ces réalités ésotériques. Lorsque Ummunâ ‘Aïcha -qu’Allâh l’agrée- fut questionnée à son sujet ﷺ, elle répondit : « Il était un Coran qui marche. » Quel est le sens de cela ?
Le sens de cela, c’est qu’il est la haqîqa du Coran.
Il ﷺ est la substance de ces réalités ésotériques, il est ce qui déploie et révèle les subtilités de ces effluves ésotériques. Il est l’existence, tant dans sa forme réunie et synthétique que dans sa forme ramifiée et déployée. Son exclusivité (ahadiya) est par conséquent multiplicité (kathra), et sa multiplicité est exclusivité. Tel est al-Mustafa ﷺ ! Et telle est la véritable suhba !
C’est de là-même que al-Mustafa ﷺ dit : « Mes compagnons sont tels les étoiles : quel que soit celui que vous prenez comme exemple, vous serez bien guidés. »
C’est pour cette même raison donc que « Par l’étoile lorsqu’elle descend » n’est pas en soi l’objectif ultime… parce que l’objectif est que cette attestation soit nommément mentionnée par lui ﷺ. N’est pas compagnon (sahâbiy) toute personne qui prétend l’être. Il ne suffit pas de dire « Je suis un compagnon du Messager d’Allâh ﷺ. »
Non, mais plutôt les compagnons sont ceux que le Messager d’Allâh ﷺ désigna lui-même comme tels. C’est la markaziya, c’est la source qui est en mesure ici de parler et de dire les choses. Quant aux ramifications et à ce qui relève de la nage dans les mondes ésotériques (al-sibâha), les concernés en sont toujours à un état situé entre l’accomplissement spirituel (al-wusûl) et la proximité (al-qurb).
En disant cela « Mes compagnons sont tels les étoiles : quel que soit celui que vous prenez comme exemple, vous serez bien guidés. », c’est donc lui-même ﷺ qui établit le fait de prendre en exemple et de se conformer (al-iqtidâ’) aux compagnons. En vertu de ce hadîth, tu dois donc te conformer à n’importe lequel d’entre les compagnons, et ne surtout jamais vouer d’animosité ni de haine à l’encontre d’aucun d’entre eux.
Il n’y a que toi !
L’exclusivité de la multiplicité (ahadiyat ul-kathra) est désignée comme étant l’exclusivité de l’ensemble (ahadiyat ul-jumû’). Et la multiplicité de l’exclusivité (kathrat ul-ahadiya) est désignée comme étant la réunion de l’exclusivité (majmû’ al-ahadiya). C’est-à-dire que lorsque tu te trouves dans ce maqâm de al-khulla… l’exclusivité de la multiplicité est pour toi nommée l’exclusivité de l’ensemble. Parce que c’est la haqîqa depuis laquelle s’est déployé l’ensemble dans son entièreté, et toi, depuis ce maqâm qui n’est autre que umm al-kitâb, tu observes et tu constates que tu te trouves dans ahadiyat ul-kathra. C’est-à-dire que tu es dans cet état d’exclusivité, et tu observes la multiplicité tout autour de toi.
Quant à la multiplicité de l’exclusivité (kathrat ul-ahadiya), qui consiste en ton retour à cette markaziya, elle est appelée la réunion de l’exclusivité (majmû’ al-ahadiya). La différence entre l’un et l’autre… c’est une différence théorique, exprimée dans cette forme imagée… mais en vérité, il n’y a pas de différence, si l’on considère les choses du point de vue de la pure haqîqa.
Si tu perçois donc la haqîqa de ta nature humaine, par exemple au travers de sens tels que l’ouïe et la vue, la vie, la volonté, la parole, etc.… qui sont effectivement des caractéristiques propres à ta réalité intrinsèque, en tant qu’être humain… cela sera désigné comme étant l’exclusivité de la multiplicité (ahadiyat ul-kathra). Quant à l’exclusivité de l’ensemble (ahadiyat ul-majmû’), c’est lorsque tu considéreras tes sens tels que l’ouïe, la vue, etc.… puis, la multiplicité de l’exclusivité (kathrat ul-ahadiya) et la réunion de l’exclusivité (majmû’ al-ahadiya).
Tout se mélangera alors pour toi… et tu ne sauras plus, quand tu auras considéré les choses du point de vue de l’exclusivité de l’ensemble (ahadiyat ul-jumû’), et quand tu les auras considérées du point de vue de la multiplicité de l’exclusivité (kathrat ul-ahadiya). Parce qu’en vérité, il n’y a personne d’autre que toi… Tu n’évolues que de toi-même, par rapport à toi-même.
Et c’est là tout le problème pour celui qui en reste toujours aux formes apparentes (al-suwar) : il ne comprend strictement rien ! Habitué à ces formes, il les place toujours avec lui, et il interagit toujours avec elles. C’est avec les formes qu’il observe, qu’il écoute, qu’il s’exprime… mais s’il ne reste plus qu’avec lui-même, qui écoute, et qui parle ?
S’il dit « j’ai entendu… », qui donc est celui qui a parlé ?
Est-ce la multiplicité (al-kathra) qui a parlé et s’est adressé à l’exclusivité (ahadiya) de ton être ? Non ! Tu es et tu demeures avec toi-même, toi et toi seul !
De là, l’ouïe n’est plus la perception d’un élément de ce pourtour ou de cet horizon (al-ufuq), mais plutôt de la markaziya, du centre de cet ufuq. C’est alors que te parvient une parole spirituelle (hâtif), et tu peux dire que certes, tu as entendu. Cependant, si je viens et si je te pose la question de savoir d’où tu as entendu ce que tu as entendu… tu te retrouves bien incapable de donner une réponse, quelle qu’elle soit !
Pour ce qui est de l’effacement (al-mahuw) et de l’établissement (al-ithbât)… Mûsâ fut interpellé, mais d’où provenait cet appel ?
Il provenait du feu.
Lorsqu’il parvint jusqu’à lui, le feu disparut (mahuw), et c’est alors que le Seigneur du feu s’exprima et dit : « Jette ce qui se trouve dans ta droite, ô Mûsâ. » Ceci concerne le point de vue de l’effacement (al-mahuw) et de l’établissement (al-ithbât)… mais maintenant du point de vue de la multiplicité (al-kathra) avec l’exclusivité (al-ahadiya), et de l’exclusivité avec la multiplicité… cela relève de : « Il dit : « Seigneur, fais-moi voir, afin que je puisse Te contempler[31]. » C’est ici-même que tout commence.
A cela, le Seigneur lui répondit qu’il ne pourrait pas atteindre cela… car il s’agit-là du maqâm de al-Mustafa ﷺ, mais Il lui dit de regarder la montagne. « Il dit : Tu ne Me verras point. Regarde cependant en direction de la montagne » Nous revenons à présent à l’effacement et à l’établissement : « …si elle persiste à sa place, alors tu Me verras. » et c’est alors que descendit sur la montagne le signe de l’effacement (al-mahuw) : elle fut pulvérisée, et Mûsâ tomba foudroyé. « Lorsque son Seigneur se manifesta à la montagne, Il la rendit pulvérisée, et Mûsâ tomba, foudroyé. » Et par ce foudroiement, Mûsâ comprit.
Cependant… dans le cas de al-Mustafa ﷺ et de sa communauté : « la vue n’a nullement dévié[32] », en aucun cas. C’est la raison pour laquelle ils ont accès au maqâm de al-khulla ! Vois donc… le maqâm que le Seigneur t’a octroyé, du fait que tu sois de la communauté du Prophète ﷺ… tout ça pour que, quand tu te mettes à parler du Messager d’Allâh ﷺ, tu le fasses comme si tu parlais de ton voisin ‘Abbâs ou Ahmad… et puis tu viens là et tu me dis : « Moi, vraiment, j’aime le Prophète ﷺ ! »
Commence plutôt par fermer ta bouche !
Pour cette raison, le reflet de ton état intérieur, c’est tout simplement ce qui apparaît de toi au quotidien. Tu prétends enseigner la convenance et le savoir vivre… alors que tu es le plus loin de cela. Tu prétends enseigner la miséricorde, alors que tu te trouves dans le plus grand des châtiments. Tu vois par exemple, lui qui fait la khutba, il parle d’amour… alors que dans son foyer, c’est le déchaînement du Jour dernier. De quel amour tu entends nous parler, toi ? Si tu en as ne serait-ce qu’une graine qui traîne au fond de ta poche, va, sème-la dans ta maison, et laisse-nous tranquilles !
Pourquoi montes-tu sur le minbar pour nous dire « l’amour c’est ceci… et l’amour c’est cela… » ?
Entre toi et ta femme, ça tire à balles réelles. Idem avec tes enfants. Avec tes voisins la situation est dramatique, entre le juge et l’avocat… et c’est toi qui viens sur le minbar pour nous parler de al-mahabba !? D’où est-ce que t’est donc venue cette mahabba !?
Ressens cela dans ton cœur, et sois au fait de la réalité de ta situation !
…et c’est toi qui après tout cela viens nous parler de al-khulla, puis tu viens nous parler du lâm al-qabd… le qabd, le bast… mais où es-tu ? Qui es-tu ?
Pour cela, il est impératif et nécessaire de suivre et de se conformer à la loi de al-Mustafa ﷺ. Si tu renvoie cela à la wilaya, alors le Prophète est plus en droit sur la wilaya que moi et que toi. C’est lui al-waliy, lui-même. Alors ressens les choses telles qu’elles sont, en toi même… et apprends le rabaissement.
Voilà pourquoi également… lorsque le Shaykh vient et te rabaisse dans certaines choses… il te donne par exemple un niveau, et puis à un autre il va donner un niveau plus élevé qu’à toi. Tout simplement parce que nous sommes dans le monde de l’entraînement, dans le monde de la pratique et de l’interaction entre frères. Le Shaykh va donc être amené à élever untel, et rabaisser untel. Il établira (yuthbit) untel, et il effacera (yamhuw) untel. Dès lors, que se passera-t-il ?
Naîtra en toi le feu de la colère… et voilà : tu n’as strictement rien.
Où donc est passée la règle fondamentale de « Tiens-toi là où Allâh t’a placé » ? …cette règle que tu lis dans les livres des maîtres soufis depuis ta naissance ?
En vérité, lorsque l’individu se trouve confronté à ce genre de ressentiment… Par Allâh tout-puissant, la seule chose qui puisse encore lui être bénéfique sera pour lui de prendre ses chaussures et de s’en aller, tout seul. Et dans le cas où on lui poserait une question, qu’il mette du coton dans ses oreilles pour ne rien entendre, et ne rien répondre. Qu’il reste dans al-istighfâr, jusqu’à la fin de sa vie. Celui-là, il n’a plus rien à dire.
A leur sujet, Allâh ﷻ dit : « leurs actions sont tel un mirage dans une plaine désertique que l’assoiffé prend pour de l’eau. Puis quand il l’atteint, il constate que ce n’était rien, mais y trouve Allâh[33]… » parce que dans tous les cas, quoi qu’il arrive, il n’y a jamais que toi avec toi-même. Tout ce qui peut sortir de cette règle ne sont en vérité que des émanation de toi-même.
Seulement toi… tu n’as pas su aimer ta réalité, tu n’as pas su interagir avec elle, en commençant par l’effacement (al-mahuw) et l’établissement (al-ithbât)… sachant que l’effacement et l’établissement s’étudient dans la première lecture, la lecture du hâ‘, et plus précisément le hâ‘ par sa markaziya (le lâm al-qabd). Mais depuis que ceci est descendu… c’est devenu la catastrophe, parmi les disciples : tout le monde s’affole pour le lâm al-qabd.
Et oui… mais si tu n’as pas appris l’effacement (al-mahuw) et l’établissement (al-ithbât) dans le hâ’ al-hawiya… comment crois-tu que nous allons pouvoir t’enseigner al-khulla, alors que tu n’as même pas su lui donner son importance à travers al-mahuw et al-ithbât… comment crois-tu que cela soit possible ?
Voilà qu’à présent les choses commencent à se dévoiler, tout s’éclaircit… tu constates que tu n’as aucune issue, tu ne peux plus lui échapper… et pourtant, tu ne t’es pas comporté avec lui de manière correcte, tu as gravement manqué de convenance (adab), par le passé. Or, comme le dit l’adage : « Celui qui manque de adab est condamné à rester dans la classe des animaux ». Il n’a aucune part dans le domaine de l’esprit.
Disions-nous, il n’est jamais que question de toi, avec toi-même. Tout ce qui peut sortir de cette règle ne sont en vérité que des émanation de toi-même. La réunion (al-jam’) est ta réunion, et la diffraction (al-farq) est ta diffraction. La face et le statut (al-wajh) sont tiens, de même que le statut (al-hukm) est ton statut.
Tu n’as jamais rejeté que ta propre personne… et de même: tu n’as jamais aimé que toi-même !
Vois et considères simplement où tu en es de cela.
Te revient donc l’anéantissement et la réduction à néant, du point de vue du statut (al-hukm)… et te revient l’établissement (al-thubût) et la persistance (al-baqâ’) du point de vue de l’être.
Ton existence est l’inexistence-même, du point de vue du statut. Et ton statut d’inexistence est ton existence-même. Tu es une inexistence existante, et une existence inexistante.
Raison pour laquelle Allâh ﷻ dit : « Puis quand il l’atteint, il constate que ce n’était rien, mais y trouve Allâh… » et le problème, c’est ce qui vient ensuite : « mais y trouve Allâh, qui règle son compte. » Voilà le problème ! Si seulement il avait pu y trouver Allâh, mais sans qu’Il ne lui règle son compte ! Voilà tout le problème… car c’est ici-même que débute la reddition des comptes. Et pourquoi la reddition des comptes débute-t-elle ici ?
Parce que tu es à ce moment-là entré par al-Fâtiha. De ce fait, ton cas a été ouvert (infataha). Ta nafs a été scindée de ton esprit… et le dialogue a commencé à s’instaurer, entre toi et toi-même. Il se manifesta par al-mahuw et al-ithbât, et alors la main se mit à parler. Elle dit : « J’ai volé ! J’ai pris… » Puis la langue viendra l’interrompre : « Si tu me permets mon amie… pardon, mais moi, j’ai calomnié, j’ai insulté, j’ai commis de la médisance… » Puis le pied ajoutera « Oui, et moi je suis allé dans tel endroit… » et l’œil : « Quant à moi, j’ai regardé… »
A ce moment-là, qui es-tu ?
Dès lors que, par al-mahuw et al-ithbât, chacun de tes membres s’est dissocié de toi et a témoigné contre toi… contre ta markaziya… tu vois bien qu’il n’y a jamais eu que toi, de toi-même, vers toi-même. Il n’y a strictement personne d’autre que toi !
De ce fait, dans les théophanies du Tout-miséricordieux… exaltée soit la transcendance de celui qui est tel qu’aucune chose ne lui ressemble… il s’adressa à toi par ton ouïe, pour ton ouïe. Et il s’adressa à toi par ta langue, pour ta langue. Tu t’es levé pour prier, et tu t’es mis à formuler la parole de ton Seigneur. Tu as dit : « Je prie… je récite la parole prééternelle et incréée. » S’il n’en avait pas été ainsi, jamais la langue de la créature n’aurait été en mesure de prononcer le Coran.
« il constate que ce n’était rien… » comment celui qui n’est rien peut donc Le trouver ?
Comment celui-là qui n’est rien peut-il être décrit comme voyant et percevant… puisque par définition, le néant ne peut voir ni percevoir ? Comment le néant pourrait-il trouver Allâh auprès de lui (‘indah), puisqu’il est néant (‘adam) ?
Ce n’est pas celui qui a cessé d’exister, qui l’a vu… mais plutôt, c’est l’existence-même (‘ayn al-wujûd), quoi qu’il l’ignore. Dès lors, cherche en toi-même. Son voile, c’est le mirage (al-sarâb). Il y a donc toi… et tout autour de toi n’est que mirage. Si tu avais su… alors ce voile qui est mirage (sarâb) serait pour toi devenu breuvage (charâb). Les points de la basmala seraient apparus pour toi au-dessus de la lettre sîn, la changeant en un chîn… et dès lors, tout ce qui pour toi était infâme et abject, serait devenu noble et honorable. C’est la raison pour laquelle ils sont tels que « ni la peur ni l’affliction ne les accable[34]. »
C’est en ce sens que le Messager d’Allâh ﷺ invoquait en ces termes : « Allâhumma ajoute-moi de l’ébahissement et de l’émerveillement en Toi. » c’est-à-dire que cet ébahissement, cet émerveillement, survint après un cheminement et une découverte de ces domaines spirituels élevés. Lorsque le Prophète ﷺ accomplit l’ascension nocturne, qu’il embrassa les différents degrés spirituels et connut les points de vue les plus ultimes qui soient… il expérimenta et aima cet état d’ébahissement et d’émerveillement divin. En ce sens également, sayiduna Abu Bakr al-Siddîq -qu’Allâh l’agrée- dit : « La réalisation de son incapacité à comprendre est l’aboutissement. »
Seulement évidemment, il dit cela après une longue quête, après avoir goûté et expérimenté des réalités et des compréhensions claires et concrètes… Tu ne peux pas venir, toi, avant d’avoir atteint cette connaissanceet proclamer que « la réalisation de son incapacité à comprendre est l’aboutissement. » … ou avant l’extinction, ou avant la théophanie, ou avant al-mahuw et al-ithbât, et venir nous dire des choses comme « Allâhumma ajoute-moi de l’ébahissement et de l’émerveillement en Toi. »
Dans la multitude des invocations qu’accomplit al-Mustafa ﷺ, chacune a évidemment un sens, une spécificité, un maqâm particulier… il ﷺ prononça telle parole depuis tel maqâm, et telle autre parole depuis tel autre maqâm… sans que jamais ses paroles ne se mélangent. Les paroles du Prophète ﷺ sont et demeurent telles des marches d’élévation vers sa noble présence.
[1]Expression coranique faisant référence au verset : « Puis, au moment de partir avec les troupes, Tâlût dit : « Allâh vous éprouvera par une rivière : quiconque y boira ne sera pas des miens, et quiconque n’y goûtera pas sera des biens… exception faite de celui qui en puisera une gorgée du creux de sa main. » [s2.v249]
[2] Sourate al-Naml, verset 88.
[3] Sourate Yûnus, verset 62.
[4] « Certes, ceux qui furent prédestinés au meilleur de Notre part, en seront éloignés (l’enfer). » Sourate al-Anbiyâ’, verset 101.
[5] Une importante secousse sismique avait été ressentie dans la région de al-‘Aroui, c’était en plein milieu de la nuit, les murs avaient tremblé durant d’interminables secondes, et une grande partie des disciples présents à la zawiya s’étaient réveillés en sursaut et avaient fui à l’extérieur.
[6] Sourate al-Anbiya’, verset 103.
[7] Sourate al-Anbiya’, verset 102.
[8] Samâ’ : pratique d’entonner des poèmes soufis.
[9] Sourate al-Naml, verset 88.
[10] Sidi Shaykh fait ici référence au fait que le serpent soit la nafs de l’individu.
[11] Sourate al-Ra’d, verset 39.
[12] Sourate al-Ra’d, verset 39.
[13] Autre nom de al-fâtiha: umm al-kitâb.
[14] Al-sab’ (7) al-mathâniy : autre nom donné à al-fâtiha, dans sourate al-Hijr.
[15] Sidi Shaykh fait ici référence aux sept lectures du nom divin.
[16] Sourate al-Ra’d, verset 39.
[17] Nusikhat : ici, le sens voulu est celui d’une forme qui serait extraite de quelque chose (istikhrâju l-sûrati ‘an).
[18] Qût al-Qulûb, de Abu Tâlib al-Makkiy -qu’Allâh l’agrée.
[19] « Nul d’entre vous ne sera croyant tant que je ne serai plus aimé de lui que son père, son fils, et l’ensemble de tous les gens. » [Sahîh al-Bukhâriy et Muslim]. Selon ‘Abdullâh ibn Hichâm -qu’Allâh l’agrée- : « Nous étions avec le Prophète ﷺ tandis qu’il tenait la main de ‘Omar ibn al-Khattâb -qu’Allâh l’agrée-. ‘Omar lui dit alors : « Ô Messager d’Allâh ! Tu m’es plus cher que toute chose, à l’exception de ma propre personne ! » Le Prophète ﷺ lui répondit : « Non, par Celui dans la main de qui se trouve ma nafs… jusqu’à ce que je te devienne plus cher que ta propre nafs. » ‘Omar dit alors : « A présent, par Allâh, oui tu m’es plus cher que ma propre nafs ! » Le Prophète ﷺ répondit : « Maintenant oui, ô ‘Omar. » » [Sahîh al-Bukhâriy].
[20] C’est-à-dire un dévoilement comme le disciple pouvait expérimenter jusque là.
[21] Sourate al-Ra’d, verset 39.
[22] Al-Chûra, verset 11.
[23] Selon Abu Hurayra -qu’Allâh l’agrée-, nous étions avec le Messager d’Allâh ﷺ à la bataille de Khaybar, et le Messager d’Allâh ﷺ dit à un homme d’entre ceux qui l’accompagnaient : « Celui-là fait partie des gens du feu. » Lorsque vint l’heure du combat, le dit homme combattit avec une force et une bravoure remarquables, jusqu’à ce que l’ampleur de ses blessures finissent par le neutraliser. Un homme d’entre les compagnons du Prophète ﷺ vint et dit : « Ô Messager d’Allâh, as-tu vu celui que tu avais annoncé qu’il serait du nombre des gens du feu, avec quelle force et quelle bravoure il a combattu, au point de se faire infliger de graves blessures. Le Prophète ﷺ répondit : « Il est certes du nombre des gens du feu. » Une partie des musulmans furent alors sur le point de se laisser aller au doute. De son côté, ne supportant plus la souffrance engendrée par ses blessures, l’homme tendit la main vers son carquois duquel il tira une flèche par laquelle il se donna la mort. [Sahîh al-Bukhâriy]
[24] Rapporté par al-Nasâ’iy, al-sunan al-kubra.
[25] Ayat al-Kursiy.
[26] A ces mots, sidi Shaykh dessina un cercle du bout de son index.
[27] « Notre Seigneur descend chaque nuit vers le ciel de dunia, au dernier tiers de la nuit, et dit : « Qui m’invoque, afin que Je l’exauce ? Qui me demande, afin que Je lui donne ? Qui implore mon pardon, afin que Je le pardonne ? » [Sahîh al-Bukhâriy].
[28] Tabarruk : recherche de bénédiction.
[29] Sourate al-Najm, versets 1 et 2.
[30] Rempli entre le markaz et le pourtour.
[31] Sourate al-A’râf, verset 143.
[32] Sourate al-Najm, verset 17.
[33] Sourate al-Nûr, verset 39.
[34] Sourate Yûnus, verset 62.